Dennis Kucinich
Dennis Kucinich (AFP)
Je ne fais l'apologie d'aucun gouvernement. Je défends la transparence et le bon sens. Dans cet article, je détaille les politiques américaines, menées par de nombreuses administrations, qui ont abouti à cette catastrophe fabriquée de toutes pièces.
Dans la Syrie déchirée par la guerre en 2017 : Elizabeth Kucinich, Dennis Kucinich et Tulsi Gabbard rencontrent des leaders chrétiens syriens
Alors que beaucoup à Washington prétendent défendre le christianisme et les valeurs occidentales, leurs politiques ont conduit à l'anéantissement systématique de certaines des plus anciennes communautés chrétiennes du monde. Les mêmes politiciens qui se posent en défenseurs de la foi n'ont pas seulement fermé les yeux sur les souffrances des chrétiens au Moyen-Orient, de la Cisjordanie et de Gaza au Liban et à la Syrie, ils ont choisi de financer leurs assassins.
L'argent des contribuables US, acheminé par l'intermédiaire de la CIA et de l'USAID, a joué un rôle essentiel dans l'armement et le soutien des factions extrémistes dont l'ascension s'est traduite par des atrocités.
Le week-end dernier, les forces du nouveau « président par intérim » autoproclamé de la Syrie, un musulman sunnite salafiste répondant au nom d'Ahmed al-Shara, ont aligné des civils, alaouites et chrétiens, contre un mur et les ont exécutés. Leur crime : l'infidélité au salafisme, une interprétation stricte de la loi islamique.
Le week-end dernier, les forces du nouveau « président par intérim » autoproclamé de la Syrie, un musulman sunnite salafiste répondant au nom d'Ahmed al-Shara, ont aligné des civils, alaouites et chrétiens, contre un mur et les ont exécutés. Leur crime : l'infidélité au salafisme, une interprétation stricte de la loi islamique.
Au cours des dernières décennies, la Syrie a été déchirée par l'interventionnisme extérieur et l'ignorance, ce qui a donné lieu à l'extrémisme et à la pire catastrophe humanitaire du 21e siècle.
De nombreux chrétiens syriens ont historiquement soutenu le gouvernement Assad et son idéologie laïque baasiste parce qu'elle garantissait la liberté religieuse et protégeait les minorités.
Contrairement à certains mouvements islamistes, le régime Assad a maintenu un État laïc où les chrétiens pouvaient pratiquer leur foi sans être persécutés. Les chrétiens occupent des postes au sein du gouvernement, de l'armée et des entreprises.
Les Alaouites constituent une minorité religieuse en Syrie, avec des communautés plus petites au Liban et en Turquie. La famille Assad, qui a gouverné de 1970 jusqu'au début de cette année, est alaouite.
La pratique alaouite de l'islam intègre des éléments du gnosticisme, du néoplatonisme et du christianisme. Elle se distingue des principales sectes islamiques. L'ancien président Assad a promu la laïcité en accord avec le soutien des alaouites à une gouvernance laïque.
Des vidéos de meurtres de masse perpétrés ces derniers jours ont fait surface : Des Syriens alaouites et chrétiens implorant la vie sauve alors qu'ils sont déshumanisés, sommés de se mettre à quatre pattes et d'aboyer comme des chiens pour se préparer à « mourir comme des chiens », dans une fusillade de balles. Les tueurs sont avertis d'éteindre leurs téléphones et de ne pas partager ces vidéos afin de ne pas retourner l'opinion mondiale contre eux.
Les relations publiques sont toujours souhaitées pour dissimuler un meurtre de sang-froid et ses desseins et pour protéger le fantasme de l'Occident selon lequel les nouveaux dirigeants autoproclamés de la Syrie sont plus gentils et plus doux que les descriptions propagandistes de leurs prédécesseurs.
Comment la situation en est-elle arrivée là ?
La crise humanitaire actuelle et les graves violences sectaires en Syrie sont les conséquences directes de politiques remontant à la doctrine de la « rupture nette » [« Clean Break »] de 1996, élaborée par un think tank de Washington qui a conseillé à Benjamin Netanyahu de rompre avec le « « processus de paix » du gouvernement précédent» (c'est leurs guillemets), qu'il voyait comme une sérieuse faiblesse.
La doctrine de la « rupture nette » a jeté les bases d'une politique agressive à l'égard de la Syrie, qui a vu le jour grâce à un effort coordonné par la Maison Blanche de Bush, plusieurs auteurs de cette doctrine ayant alors accédé à des postes de décideurs au sein du gouvernement fédéral.
L'approche « Clean Break » a été mise en avant par Hillary Clinton qui, en tant que secrétaire d'État, a proposé, avec le directeur de la CIA David Petraeus, d'armer les rebelles syriens.
La Maison Blanche a rejeté le plan, mais, d'une manière ou d'une autre, la dynamique créée pour renverser Assad a été propulsée par la CIA. La directive présidentielle de 2012 du président Obama, qui appelait explicitement au renversement du président syrien Bachar el-Assad, n'a fait qu'autoriser ce qui était en cours sans sa permission.
Ce n'est pas la dernière fois que la CIA trouvait le moyen de tromper Obama en Syrie. Le 12 septembre 2016, un accord de cessez-le-feu a été négocié par le secrétaire d'État américain, John Kerry, et le ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov, visant à ce que les deux grandes puissances coopèrent pour limiter les groupes extrémistes.
Selon une source au fait des arrangements, Robert Malley, l'envoyé spécial de Barack Obama pour le Moyen-Orient, prévoyait de se rendre au Liban, puis de se rendre à Damas pour rencontrer M. Assad, afin de tirer parti du cessez-le-feu conclu entre Kerry et Lavrov et d'ouvrir la possibilité d'une nouvelle orientation des relations entre les États-Unis et la Syrie.
Le lendemain, une frappe aérienne américaine tuait plus de 100 soldats syriens. Le voyage de Malley a été annulé et le cessez-le-feu a pris fin quelques heures plus tard.
Le plan visant à évincer Assad est passé à la vitesse supérieure. Obama a été manipulé par Hillary Clinton et la CIA en Syrie, tout comme il l'avait été en Libye.
Judicial Watch a obtenu des documents qui prouvent que la Defense Intelligence Agency (DIA) savait que la stratégie de soutien aux forces d'opposition - largement composées de factions salafistes et extrémistes, y compris des affiliés d'Al-Qaïda - conduirait directement à l'établissement d'une « principauté salafiste » dans l'est de la Syrie, avec une interprétation stricte de l'islam sunnite.
La DIA a explicitement souligné que ce résultat était précisément « ce que veulent les puissances qui soutiennent l'opposition, afin d'isoler le régime syrien ».
Le Clean Break, Benjamin Netanyahu, la CIA, Hillary Clinton, Barack Obama et la Defense Intelligence Agency sont tous responsables de la désintégration de la Syrie qui a entraîné une violence sectaire extrême. La plupart de ceux qui sont tués aujourd'hui n'étaient alors que des enfants, dans un pays où coexistaient des communautés fréquentant des mosquées, des églises et des synagogues.
L'argent des contribuables US, acheminé par l'intermédiaire de la CIA et de l'USAID, a joué un rôle essentiel dans l'armement et le soutien des factions extrémistes dont l'ascension a abouti à ces atrocités.
En Syrie, les machinations américaines au Moyen-Orient ont atteint des sommets tragiques. Sous l'administration Obama, la CIA a lancé l'opération « Timber Sycamore » en 2012, une opération secrète qui a acheminé des milliards de dollars en armes et en formation à des soi-disant « modérés » liés à Al-Queda, Al-Nusra et ISIS. Une bonne partie des armes payées par les contribuables étatsuniens et destinées à être utilisées contre la Syrie ont fini en vente sur le marché noir.
On a raconté au peuple américain un conte de fées selon lequel nous soutenions des combattants de la liberté contre un dictateur. Dans la réalité, nous avons financé les terroristes qui assassinent les chrétiens, massacrent les villages alaouites et imposent un régime islamique radical dans les régions dont ils s'emparent.
Il s'agissait d'une intervention irresponsable, motivée par l'obsession géopolitique d'affaiblir l'Iran et la Russie. Elle a non seulement détruit la Syrie, mais elle a également créé un terrain propice au terrorisme mondial.
Le fameux épisode de Timber Sycamore, a été dit-on annulé par la première administration Trump, mais son intention, renverser Assad, s'est poursuivie sous l'administration Biden. Pour les étudiants en dendrologie, le sycomore est un arbre caractérisé par des membres faibles et de grandes feuilles qui se décomposent lentement en tombant sur terre.
En réfléchissant aux politiques désastreuses de l'Amérique en Syrie, je me pose une question lancinante : Pourquoi les États-Unis poursuivent-ils des stratégies qui ont conduit au massacre de chrétiens et d'alaouites, à la destruction d'anciennes communautés et au triomphe de l'extrémisme ?
Pendant des années, en tant que membre de la Chambre des représentants, j'ai pris la parole au Congrès pour tirer la sonnette d'alarme sur les politiques irresponsables de changement de régime. Je me suis opposé à la stratégie néoconservatrice du « Clean Break ».
Je m'étais prononcé contre la guerre en Irak en 2002, sachant qu'elle déclencherait des violences sectaires et constituerait un terreau fertile pour les groupes jihadistes. J'ai rejeté l'intervention illégale des États-Unis en Libye en 2011, avertissant que le retrait de Kadhafi transformerait la Libye en un État en déliquescence [« failed state »] et ouvrirait la porte aux extrémistes islamiques.
À chaque fois, j'ai été ignoré, rejeté, voire vilipendé par ces initiés de Washington désireux de refaire le monde à leur image (et de gagner de l'argent en le faisant) sans se soucier du coût humain.
J'ai exigé la transparence.
J'ai demandé des comptes.
J'ai demandé une enquête du Congrès sur le rôle de la CIA dans l'armement des groupes extrémistes.
J'ai été confronté au silence officiel et au ridicule public induit par les médias.
En 2013, je me suis opposé au projet d'Obama de bombarder la Syrie, avertissant que l'intervention militaire américaine ne ferait que renforcer les jihadistes. Lorsque je me suis rendu en Syrie en 2017 avec la députée Tulsi Gabbard, j'ai parlé directement avec des dirigeants chrétiens, des civils et des responsables gouvernementaux qui nous ont dit ce que les médias américains refusaient de rapporter : Les États-Unis n'étaient pas en train d'aider le peuple syrien - ils étaient en train de le détruire.
Je suis revenu déterminé à faire éclater la vérité, à dire au peuple américain que l'argent de nos impôts finançait une guerre qui visait des innocents, des gens dont les familles vivaient dans la région depuis des siècles.
La plupart des médias grand public, fidèles aux récits de guerre, ont rejeté les conclusions de l'enquête. L'establishment politique bipartisan a maintenu le cap, veillant à ce que les armes et les ressources continuent d'affluer entre les mains des extrémistes.
Aujourd'hui, après la chute d'Assad, le pire des scénarios s'est réalisé. Les villes qui abritaient autrefois certaines des plus anciennes communautés chrétiennes du monde sont en ruines, leurs habitants massacrés ou contraints à l'exil. Les chrétiens et les alaouites sont qualifiés d'hérétiques par les groupes mêmes que l'Amérique a aidé à renforcer.
Et je pose à nouveau la question : Pourquoi ?
Pourquoi l'Amérique a-t-elle défendu des politiques qui ont conduit au meurtre de chrétiens, à la destruction d'églises, au massacre d'alaouites et à la montée en puissance de jihadistes radicaux ? Pourquoi nos dirigeants ont-ils sciemment aidé ceux qui ont assassiné les personnes mêmes que l'Amérique prétendait vouloir protéger ?
La réponse réside dans une politique étrangère corrompue et immorale, dictée non pas par l'éthique, les droits de l'homme ou même la sécurité nationale, mais par les intérêts du complexe militaro-industriel et des stratèges qui considèrent les vies humaines comme des pions dans un jeu d'échecs géopolitique.
Cette situation tragique en Syrie n'est qu'un exemple parmi d'autres dans le catalogue de chaos qu'est la politique étrangère US ; l'Iran en 1953, le Guatemala en 1954, le Liban dans les années 1980, l'Afghanistan dans les années 1980-1990 et l'Irak après 2003 sont des exemples notables d'une perfidie similaire, bien que ces débâcles ne soient en aucun cas exclusives.
La politique étrangère des États-Unis révèle trop souvent des calculs visant à exciter et à exploiter les divisions sectaires, religieuses ou ethniques afin d'atteindre des objectifs géopolitiques vains qui se soldent par la désintégration et la défaite.
Comme une bande de Snidley Whiplash, "Curses, foiled again!" [ allusion à un dessin animé], nos génies politiques ignorent la dévastation qu'ils ont causée et se lancent tête baissée dans la préparation des prochaines catastrophes : guerres civiles prolongées, persécutions systémiques, souffrances humaines massives, crises de réfugiés et instabilité politique durable.
L'exacerbation délibérée des tensions sectaires a maintes fois laissé derrière elle des États affaiblis, des groupes extrémistes enhardis et d'innombrables victimes innocentes. Elle perpétue la souffrance humaine à grande échelle. Elle a gravement nui à la réputation mondiale de l'Amérique. Elle a favorisé l'extrémisme, l'instabilité et les conflits en cours.
J'ai passé ma carrière à lutter contre ces guerres d'agression. J'ai mis en garde contre le fait que les opérations de changement de régime ne mènent jamais à la paix, mais seulement à de plus grandes souffrances.
Aujourd'hui, avec la chute du gouvernement Assad aux mains des extrémistes, le cauchemar que j'avais annoncé, comme d'autres, est devenu réalité. La guerre syrienne, alimentée par l'intervention et les opérations secrètes des États-Unis, a abouti au résultat même que les interventionnistes prétendaient essayer d'éviter : un bain de sang.
Les néocons, les interventionnistes et les profiteurs de guerre ont atteint leurs objectifs, leurs machinations blanchies par des médias grand public irresponsables et complices dont la naïveté ignorante ou la tromperie délibérée ont ouvert la voie à ces atrocités. Un autre gouvernement renversé, une autre nation en ruines et une autre génération d'innocents payant le prix d'une arrogance métastatique.
Les Américains croient en la liberté religieuse. Notre gouvernement ne pratique pas cette liberté à l'étranger.
Les Américains croient en la dignité humaine. Notre gouvernement la pulvérise dans d'autres pays, avec l'argent de nos impôts.
Les Américains veulent la paix. Mais nous ne connaîtrons jamais la paix tant que nous ne ferons pas face à la réalité : notre propre gouvernement a dépensé des milliers de milliards de nos précieux impôts pour attiser les conflits et déclencher des guerres, au profit de quelques-uns et au détriment manifeste du reste d'entre nous.
J'ai fait tout ce que j'ai pu pendant mon mandat. Maintenant, je prie pour ceux qui souffrent sous le joug de l'oppression que nous avons causée, et je prie pour que l'Amérique change de cap.
Source : The Kucinich Report
Qui est Dennis Kucinich ?
Dennis Kucinich est un homme politique américain né à Cleveland (Ohio) en 1946, principalement connu pour son engagement à gauche du Parti démocrate et son parcours atypique dans la vie politique américaine.
Kucinich est considéré comme l'une des figures les plus à gauche du Parti démocrate. Il s'oppose à la privatisation des services publics, milite pour le désarmement nucléaire, la protection de l'environnement, et défend une vision sociale de la politique américaine. Il s'est également illustré par son opposition au Patriot Act et son soutien à la cause animale (il est végétalien).
Il s'est opposé de manière constante et explicite à la guerre d'Irak. Dès 2002, alors que le Congrès américain débattait de l'autorisation d'utiliser la force contre l'Irak, Kucinich a dénoncé ce qu'il a qualifié de « vote de la peur, qui nous conduit à attaquer ceux qui ne nous ont pas attaqués ». Il a été l'un des rares élus à voter contre la résolution autorisant la guerre. Kucinich a également mené une analyse détaillée, selon laquelle il n'existait aucune preuve que l'Irak représentait une menace pour les États-Unis, qu'il possédait des armes de destruction massive ou qu'il était lié aux attentats du 11 septembre. Il a critiqué la politique de préemption et d'unilatéralisme de l'administration Bush, prônant au contraire une approche fondée sur le respect du droit international, la diplomatie et la coopération multilatérale.
Enfin, il a proposé à plusieurs reprises des plans concrets pour mettre fin à l'occupation américaine en Irak, notamment en retirant les troupes, en fermant les bases et en confiant la stabilisation du pays à une force internationale de maintien de la paix. Kucinich a également été à l'origine d'une procédure de destitution contre le président George W. Bush, invoquant notamment l'illégalité de l'invasion de l'Irak.
Dennis Kucinich a adopté une position critique et sceptique envers l'intervention américaine en Syrie. Il s'est notamment illustré en contestant publiquement la responsabilité du régime de Bachar el-Assad dans les attaques chimiques, allant jusqu'à rencontrer Assad en personne en 2017. Kucinich s'est opposé à la politique américaine de soutien militaire aux rebelles syriens, préférant une approche diplomatique et plaidant pour la paix plutôt que pour l'escalade militaire.